Archipelago: Architectures for the Multiverse, Mai 6-8, Genève /

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Archipelago Team
« Tranversalité, croisant les univers » : Un entretien avec Jean-Pierre Greff
31.03.2021

Jean-Pierre Greff est le directeur de la HEAD – Genève. Il est historien de l’art, professeur, curateur et membre du comité de pilotage d'Archipelago. Il y a plusieurs années, il a lancé, avec d'autres représentants de la HEAD et de l'HEPIA, un projet de vision à long terme, le « pôle des architectures », afin de réfléchir à pour réfléchir à la manière dont les trois départements d'architectures des deux écoles pourraient interagir et collaborer sous de nouvelles formes. Archipelago est une initiative qui est née de cette recherche.

Comment est née l'idée d'Archipelago ?

La réflexion sur la création d’un possible « pôle des architectures » – dont la définition reste délibérément floue, provisoire et informelle – a été engagée il y a quelques années. Pour ce qui nous concerne, à la HEAD – Genève, cette réflexion dont chacun comprend d’emblée la dimension multidisciplinaire, voire transdisciplinaire, ne pouvait s’envisager qu’à partir du moment où notre propre discipline, l’architecture d’intérieur, aurait gagné une définition contemporaine et une identité suffisamment fortes pour ne pas se trouver d’emblée subsumée, et sans doute phagocytée, en tant que sous-catégorie, dérivée et accessoire de l’Architecture (écrite avec un A majuscule). Or cela fait seulement quatre ou cinq ans que notre projet a gagné cette consistance et cette assurance sans lesquelles il n’est pas de dialogue ouvert. Partant, ce processus, plutôt que projet, repose sur un constat simple : nous avons la chance assez rare de disposer à Genève, dans deux écoles « sœurs », la HEAD et HEPIA, des trois disciplines et échelles spatiales de l’architecture : architecture d’intérieur, architecture et architecture du paysage. Ce « pôle des architectures » recouvre donc une réflexion sur un possible rapprochement institutionnel, mais plus encore sur ce qui pourrait le fonder, c’est-à-dire une réflexion de nature épistémologique et critique sur ces catégories, anciennes et obsolètes à certains égards. Cet « encapsulement » gigogne des architectures et des espaces, de l’environnement (paysage ou espace urbain) au bâti, du bâti à l’espace intérieur, à la mesure de l’humain – avec l’échelle de valeurs qui est son corollaire – paraît aujourd’hui inopérant et un brin désuet. Nous y reviendrons certainement, mais il reste que nous avons imaginé Archipelago comme un socle intellectuel et d’expériences à partir duquel penser de possibles reconfigurations du champ des architectures. C’est en ce sens, de manière très pratique, que les étudiant.e.x.s de nos trois filières ont été invités à collaborer concrètement, depuis deux ans, à la création de certains des espaces physiques de ce dispositif spatial et discursif nouveau, multimodal, conversationnel, horizontal et public que nous avions imaginé ensemble, au fil du Rhône et au bord du lac, pour Archipelago… avant le raz-de-marée de la pandémie qui nous a contraints à le réinventer.

De nombreux aspects de l’événement, de sa conception physique à son image de marque, ont été réalisés en collaboration avec vos écoles respectives. En quoi l'HEPIA et la HEAD sont-elles particulièrement bien placées pour travailler à l’organisation d’Archipelago et comment l’événement reflète-t-il vos positions pédagogiques plus générales ?

Il va de soi, à mon sens, que les événements portés, désirés et produits par l’école ne peuvent être qu’une émanation de l’enseignement et de la recherche que celle-ci dispense et produit ; ils n’ont de sens que s’ils sont menés, en première instance (qui n’exclut pas toutes sortes d’alliances) par leurs premiers destinataires, c’est-à-dire étudiant.e.x.s et enseignant.e.x.s, ensemble. Ce serait là, du reste, une possible définition de l’école d’art. Archipelago est ainsi exemplaire d’une pédagogie dont chacun.e est à la fois acteur.trice et destinataire. Archipelago est aussi emblématique d’une école qui favorise, autant qu’il se peut, des projets à l’échelle 1 :1, c’est-à-dire en vraie grandeur, à l’inverse d’un espace de simulation. Nos étudiant.e.x.s sont ainsi amenés à travailler, pour l’école elle-même comme pour ses partenaires et mandants, à des projets réels, parfois complexes et prestigieux, dès le début de leur formation. Archipelago était à cet égard une opportunité très désirable. Archipelago est également, on l’a compris, une situation de tranversalité, croisant les univers, et c’est là une démarche que la HEAD favorise. Enfin, les professeur.e.x.s de l’école sont engagés dans des projets de recherche, la réflexion sur leur discipline et ses alentours appartient à leur travail quotidien ; elleux sont également des artistes et designers professionnels ; il semble donc assez naturel de mettre leur talent au service d’un tel événement, à l’exemple encore de l’identité visuelle du projet, créée par Mitch Paone et les étudiant.e.x.s en Communication visuelle.

Quel est le rôle d’une école de design et architecture aujourd’hui ? Quelles sont ses responsabilités et, inversement, quel est son potentiel ?

J’aime dire qu’une Haute école d’art et de design répond aujourd’hui à une définition politique. Cela signifie en premier lieu qu’elle est ancrée dans la Cité, dont elle constitue l’une des figures ; qu’elle y est présente, en actes, dans les situations les plus diverses, mais aussi qu’elle accueille en son sein le débat public, centré sur des questions esthétiques qui revêtent nécessairement une dimension socio-politique. Mais cela signifie aussi qu’une telle école est un forum qui s’empare de toutes les questions essentielles qui traversent une société à chaque moment de son histoire. Une école d’art et de design exerce une responsabilité sociale ; il s’agit bien d’y entrevoir, d’y dessiner de nouveaux mondes possibles, de nouvelles relations ou, plus concrètement, d’y favoriser à toutes forces a better design for a bad world. Une école telle la nôtre, ou les nôtres en l’occurrence, possède un potentiel considérable, une « force de frappe » intellectuelle et d’action peut-être sans équivalent. Disponible, tout entière focalisée sur ce travail de pensée, d’imagination et de réinvention du monde. Celle-ci tient à la qualité de ses équipes comme à l’ampleur, à la diversité et à la qualité de son corps estudiantin. Cela tient à sa capacité, ou mieux, à la forme instituée du dialogue et du débat dans un cadre académique, c’est-à-dire porté par une exigence intellectuelle et des règles éthiques. Normalement, cela doit produire de l’intelligence et de l’invention.

Archipelago sera diffusé à partir de Genève au début du mois de mai. Quelle est l’importance de ce point d’ancrage ? Qu’offre ce lieu spécifique pour vos écoles et pour le discours sur le design en général ?

Il existe à Genève une tradition ancienne, mise un temps entre parenthèses, de réflexion et de débat sur l’architecture et l’enseignement. Et puis, il y a au présent cette situation rare que j’évoquais de deux écoles sœurs mais très différentes – inscrite pour l’une dans l’histoire des arts et du design, dans une tradition et une culture d’architecte-ingénieur, pour l’autre – qui réunissent les trois architectures. C’est donc un mixte de proximité physique et institutionnelle et de distance socio-culturelle, et nous pensons que de cet entre-deux peuvent jaillir quelques étincelles. Pour créer un arc électrique, il faut que les deux électrodes ne soient ni en contact ni trop éloignées, mais à une distance proche très exacte. Nous en sommes peut-être là… A la HEAD, je l’ai dit, nous sommes en permanence en quête de collaborations de toutes natures. Et l’architecture est très présente au sein de l’école, à travers son corps enseignant, mais encore du fait de ses bâtiments, dont deux au moins comptent parmi les joyaux du patrimoine bâti de Genève.

Bâtiment H, HEAD – Genève.

Il semble aujourd’hui que la définition du travail des architectes, des architectes paysagistes et des architectes d’intérieur soit plus vague que jamais, en particulier pour les étudiant.e.s et les professionnel.le.s en début de carrière. Que pensez-vous de la définition de ces domaines et dans quelle mesure peut-on et devrait-on les remettre en question ?

C’est une question essentielle, et elle est pour moi, pour nous au sein de la HEAD, au cœur du projet Archipelago.
L’architecture, les architectures n’ont pas échappé au vaste mouvement de reconfiguration qui a affecté l’ensemble du champ esthétique depuis la fin du modernisme. Je ne pense pas que les appellations soient seulement plus vagues, je pense qu’elles sont beaucoup plus ouvertes et mouvantes. Les anciennes frontières semblent se dissoudre, jusqu’à s’effacer parfois. De nouvelles intrigues se sont nouées entre architecture, architecture d’intérieur et design au cours des deux dernières décennies, récusant et débordant leurs relations anciennes, fondées sur un partage des territoires que recouvrent des relations hiérarchiques faites de prééminence et d’assujettissement. Il s’agit là d’une mutation profonde fondée sur la conjonction, sinon l’indétermination des pratiques et une contamination réciproque des registres (quand bien même les Ordres corporatistes veillent rigoureusement à leur distinction sociale… et économique). La question est éminemment complexe et je ne ferai que l’effleurer ici. Mais il ne s’agira pas pour nous de simplement prendre acte d’une situation patente de dé-différenciation et d’indéfinition. Pas plus qu’il ne s’agit de préserver à toutes forces le pénible face à face de disciplines définies de façon identitaire, hiérarchisée et dont on se demanderait ensuite comment elles peuvent se rejoindre. Nous explorerons résolument un champ contemporain, déterminé par des logiques de territoires saturés et des impératifs écologiques. Celui-ci impose aux architectes de tous bords (pluriel de rigueur !) de reprendre en charge le bâti existant, plutôt que l’araser dans une logique obsolète, non pas pour y appliquer une logique de rénovation de surface, ou même strictement décorative (quand bien cette notion longtemps dépréciative, tout comme l’ornement parfois honni ont connu plus qu’une réévaluation esthétique dans le champ même de l’Architecture), mais pour le ré-investir, au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire en le repensant, en le restructurant et en le requalifiant depuis l’intérieur. C’est ce changement épistémologique que notre Département Architecture d’intérieur entend assumer, en toute légitimité. Loin de s’en tenir au second œuvre et aux fonctions d’aménagement ou de décoration intérieurs, il entend faire valoir ses compétences et sa sensibilité particulières, son sens aigu de l’émotion spatiale dans une appréhension de l’architecture (comprise au sens plein du terme) depuis l’intérieur, ou par l’intérieur. Il promeut face à l’architecture qui érige sans cesse à neuf, une logique matricielle, germinative, plus horizontale et inclusive. Nous explorerons par conséquent un champ dont nous postulons l’existence, et le caractère proprement crucial, où la distinction entre architecture et architecture d’intérieur se trouble ou s’estompe. L’enjeu est, là encore, de dépasser d’anciennes lignes de partage académiques entre « majeur » et « mineur ». C’est en ce sens que, selon la belle formule que j’emprunte à Javier Fernandez Contreras, l’architecture d’intérieur s’impose aujourd’hui comme « le laboratoire de la modernité ». Il ne s’agit pas cependant d’abolir toute différence, en termes de compétences pratiques ou de réalités professionnelles, mais plutôt d’imaginer un enseignement qui, instaurant la transversalité comme pratique, envisage les architectures contemporaines comme une scène éclatée, traversée de conjonctions et de disjonctions successives, animée d’un incessant, passionnant et stimulant mouvement de « déterritorialisation – reterritorialisation ». Une scène qui, en somme, répond très précisément à la figure géographique et à la puissance poétique de l’Archipel.

Comment s’est passée la collaboration entre la HEPIA et la HEAD jusqu’à présent ? Y a-t-il eu d’autres exemples par le passé ?

Cette collaboration s’est faite très naturellement et sans difficulté, tout simplement parce que nous étions prêts, de toutes parts, et que celle-ci était non pas forcée mais désirée. Pour les étudiant.e.x.s, la collaboration n’est jamais un problème, elleux ont cet appétit, cette disponibilité et cette absence de préventions qui la rendent spontanément aisée et féconde. Cette collaboration instituée entre HEAD et HEPIA pour Archipelago est d’une ampleur et d’une ambition nouvelles, mais elle n’est pas inédite : une précédente collaboration avait par exemple permis la création d’une très belle scénographie itinérante pour la DRA IV (4ème édition de la Distinction romande d’architecture).

Le sujet tabou, c’est la pandémie en cours et ses effets sur tous les aspects de la vie. Pourquoi organiser un festival maintenant et comment Archipelago a-t-il dû s’adapter, tant dans son concept que dans sa forme ?

La pandémie a bouleversé tous nos plans ! Hélas, et cela pourrait nous laisser toutes et tous profondément frustré.e.x.s. Ce projet était fondé sur l’être ensemble, sur des expériences physiques inédites, partagées, d’espaces très divers inscrits au fil de l’eau. La pandémie a bouleversé tout notre projet, mais elle ne l’a pas ruiné ! Elle a créé l’obligation d’une totale réinvention des espaces et des formes de ce « festival », pour l’amener de façon inédite et radicale dans l’univers virtuel, ou dans un univers hybride, mêlant jusqu’au vertige réalité et virtualité…

Qu’espérez-vous voir à Archipelago ? Qu’est-ce que les gens qui regarderont depuis chez eux devraient en retirer et quels sont les projets pour la suite ?

Des étudiant.e.x.s et des enseignant.e.x.s stimulés, enthousiastes, radieux.
De l’agitation, des colères et des sourires.
Des questions nouvelles et de nouvelles façons de les appréhender. Les réponses, au fond, importent peu…
Pour le public, divers, nombreux, éclaté de toutes parts, un partage d’expérience. Une participation active, non pas la réception passive de paroles d’experts ; cela n’a plus beaucoup de prise et suscite même méfiance et rejet.
Pour Genève, une vision nouvelle, une attention et peut-être, enfin, face au flux de paroles neuves, face à des expériences où s’entrevoit de nouveaux possibles, la capacité à ne pas dire d’abord non. Un intérêt nouveau pour une construction ambitieuse (non pas emphatique ou spectaculaire) de la ville. En réalité, à Genève, qui compte quelques chefs-d’œuvre souvent mal connus d’architecture du XXe siècle, la culture de l’architecture est en déficit ; c’est là l’une des premières raisons de la difficulté qu’y connaît aujourd’hui tout projet architectural d’envergure.
Pour nous, pour la HEAD et la HES-SO Genève, une invitation à poursuivre à partir de ce socle, à instituer ce Pôle des Architectures de façon légère et labile, comme cet espace intermédiaire, pulsatile, où se croisent, se confrontent et s’embrassent ces deux histoires et ces deux modalités de l’architecture, forte, l’une, de l’intelligence de l’ingénieur et des ressources de la technique, souveraine, l’autre, dans sa parenté de l’art et du design.